Chère Eleanor.

 

L’éducation de l’enfant détermine le futur de l’homme accompli, ma douce, et je vais t’expliquer pourquoi je ne peux prétendre à ce titre.

Ma mère trouvait son plaisir à me voir souffrir. Elle riait de ma famine et s’exaspérait de mes besoins d’affection. Les bains glacés en abusait, j’en sortais bien souvent bleu de froid. J’y ai même laissé trois orteils. Je me souviens trop fort d’elle, et ces épreuves restent gravées dans mon cœur et mon âme.

Elle a fait de moi un monstre. Ainsi, ma tendre, tu as vu les dépouilles écorchées de mes épouses précédentes. Dès que je les devinais pleines, je leur confiais les clés et donnais mes directives selon une procédure immuable. C’est un petit jeu qui me vient de ma mère. Chaque fois, elle usait d’un stratagème différent pour m’obliger à ouvrir la porte interdite. Elle m’a pris par la peur, m’a tenté par gourmandise, m’a attiré par pitié ou poussé par douleur. Je connais la nature profonde des femmes. La curiosité est un vilain défaut.

 

Si cette lettre te parvient, c’est que je suis mort. Quand tu liras ces lignes, comprends et pardonnes, ma mie. Les fées ont regretté de m’avoir sauvé de ma mère. Je ne peux lutter contre mon destin. Elles ont bien tenté de m’arrêter, mais vois-tu, je suis un peu mage aussi. Elles ne pouvaient que se soumettre à ma volonté et espérer qu’une de mes femmes résiste à la curiosité. Je leur avais promis que cette folie cesserait dès que j’aurai épousé cette perle rare, je me mentais à moi-même.

Hier, elles m’ont conté l’avenir. La mort viendra à moi par l’intermédiaire de tes frères et je ne pourrai rien y changer. Comme je ne pourrai réfréner la rage qui m’absorbera lorsque j’aurai constaté ta désobéissance.

 

J’ai offert ma fortune à toi ou ta sœur. Cependant, de toi j’aspirais l’assentiment. Ta peau est plus tendre, ton parfum plus capiteux, tes lèvres plus charnues, et tu as vaillamment résisté au sort que je t’ai jeté. J’emporte ce dernier souvenir dans l’au-delà.

 

Enfin, si un désir de vengeance ronge ton cœur, pense à moi. Élève l’enfant dans l’amour maintenant que tu sais qu’il est de ces passés qui nous entravent à jamais.

Je te prie d’utiliser ma fortune à bon escient.

Avec toute mon amertume,

 

Barbe bleue.