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Gahila

Voici le prologue du tome un de Gahila (deux naissances) :

 

Gahila

 

 Deux essences spirituelles évoluaient librement dans l’espace et se nourrissaient d’âmes pour étendre leur psyché. Sur une planète, aujourd’hui ravagée par les guerres qu’elles déclenchaient, un prêtre éclairé les nomma Bahass et Araya.

 

Bahass ne s’intéressait qu’aux esprits violents et ambitieux parce qu’elle aimait leur force, Araya s’opposait à elle dans la douceur et le respect de la vie. Pourtant, leur lutte éternelle finissait toujours par anéantir les mondes.

 

Bahass approcha Gahila en premier.

 

Ce satellite décrivait une ellipse autour d’une étoile gazeuse que les premiers Herriens appelèrent Zaïa. Elle lui masquait entièrement le soleil dix jours sur trois cents et une chaîne montagneuse, que seul un Ailé aurait pu franchir, divisait ce monde.

Partant du nord-ouest, l’oiseau intelligent aurait admiré les sources qui dévalaient les pentes abruptes et noyaient les abysses. Là se formait le fleuve qui traversait Gahila de part en part. Les courants d’air ascendants l’auraient ensuite envoyé vers l’océan et son ressac assourdissant. Sorti vainqueur de ce périple, il se serait posé sur le sable frais, et pendant ce repos nécessaire, il aurait contemplé une vaste prairie que de gigantesques herbivores dévoraient sans se soucier de la proximité des bipèdes avec lesquels ils partageaient ces terres.

Puis, certainement à la recherche d’un environnement adapté à ses besoins, le voyageur courageux aurait survolé une immense forêt d’épineux que les habitants des plaines ne visitaient jamais. À l’équateur, le spectacle grandiose d’un marais traversé par le même fleuve se serait offert à ses yeux émerveillés. Ce territoire largement ponctué de mangroves[1] lui aurait sans doute plu, mais les cris féroces qui s’élevaient constamment vers le ciel l’auraient empli d’effroi et repoussé jusqu’au pôle Sud ; en ces temps reculés, sur cette face partagée entre milieux liquides et solides, de petits mammifères velus dominaient les autres ethnies par leur nombre et leur cruauté.

 

Bahass apprécia cette forme d’intelligence collective, elle se reconnut dans leur brutalité. Alors, elle insuffla un peu de son aura dans une âme en gestation et observa le résultat. L’être ainsi modifié trouva un couloir entre les gouffres et les pics de cette ceinture de montagnes infranchissables et la violence déferla sur l’aire pacifique de Gahila en une vague noire, affamée de chair, assoiffée de sang. Elle devint le terrain de chasse de ceux que les Herriens appelèrent en premier les Miobés.

 

Les Miobés investirent facilement les villages pour piller les cheptels, car ces grands félins n’avaient conservé de leur passé animal que des griffes rétractiles et de longues canines. Depuis plusieurs générations, ils vivaient en harmonie avec le végétal.

La population affronta ces monstres sanguinaires. Des barrières de feu défendirent les maisons et, au fil du temps, certains acquirent des capacités métapsychiques ce qui leur permit de refouler efficacement ces assauts meurtriers.

Le torrent cruel remonta donc vers le nord et explora de nouvelles saveurs.

 

Dans le froid des hivers et la relative fraîcheur des étés, une seconde espèce de félidé s’était, elle aussi, développée. Cependant, les ressemblances entre ces peuples s’arrêtaient à la longueur des crocs et aux iris fendus. Leur taille moyenne et leurs mains aux quatre doigts les différenciaient des Herriens, de même que leurs pieds minuscules. À l’opposé de leurs voisins, les Arzacs avaient gardé le goût de la prédation.

La traque s’avéra plus rude et, pour augmenter son efficacité, la horde miobée se scinda en milliers de clans qui s’éparpillèrent partout.

 

Pour lutter contre l’envahisseur, Herriens et Arzacs unirent leurs efforts. De cette alliance naquirent deux châteaux et de nombreux enfants métissés qu’ils nommèrent Sharzac.



[1] Mangroves : ilots d’arbres géants qui prennent racine dans le fond du marais.